Aussi longtemps que coulera la rivière : L’héritage du Traité numéro 5
« Le Traité numéro 5 est un outil puissant. Ce n’est pas simplement un document ou un accord du passé. C’est un document vivant, » affirmait l’avocate et défenseure des droits des peuples cris, Deanne Kasokeo. Depuis 150 ans, il façonne la vie des peuples cris et anichinabés du nord du Manitoba et de la Saskatchewan, et cette question demeure loin d’être résolue. Également connu sous le nom de Traité de Winnipeg, il a impliqué le plus grand nombre de communautés des Premières Nations au Canada, offrant des promesses de terres, d’outils, d’éducation et de soins de santé. Cependant, ces engagements ont été mis en œuvre de manière inégale. Les communautés des Premières Nations continuent de subir les conséquences au quotidien. Dans cet épisode, Deanne Kasokeo nous parle de l’histoire de sa famille et de l’impact des enseignements de sa grand-mère sur son engagement à défendre les droits issus des traités, tout en œuvrant pour reconnecter les communautés à leur héritage. Ensuite, la cheffe Maureen Brown de la Nation crie d’Opaskwayak partage ses réflexions sur les effets à long terme des politiques coloniales, l’importance de la transmission des savoirs aux nouvelles générations et les raisons qui nourrissent son optimisme pour l’avenir.
Listen to the episode:
Angela Misri: Si vous vous teniez à proximité d’un lac du nord du Manitoba, vous auriez probablement senti un silence aussi profond qu’un murmure. Voici le territoire du traité numéro 5, une terre d’eau, de tourbières et de forêts, habitée par les peuples cris et anichinabés depuis de nombreuses générations.
Le traité numéro 5, également appelé Traité de Winnipeg, est le plus vaste des traités numérotés conclus au Manitoba. Il regroupe le plus grand nombre de communautés des Premières Nations au sein d’un même accord. Signé pour la première fois en 1875 à Norway House et à Grand Rapids, il a été conclu entre le gouvernement fédéral, les Ojibwés et les Cris des marais du lac Winnipeg. Au fil des décennies, de nouvelles adhésions et modifications ont progressivement élargi la portée du ce dernier. Ce n’est qu’en 1910 que le processus a été pleinement complété, lorsque les dernières bandes y ont officiellement adhéré et que les terres de réserve ont été formellement attribuées.
Les nations qui ont rejoint le traité numéro 5 recherchaient la sécurité par l’accès à des outils agricoles, des protections contre l’empiètement, de la nourriture et des soins de santé après des années de famine et de déplacement. Le Canada avait pourtant des buts plus précis, soit de protéger son territoire contre une nouvelle colonisation, de fournir du transport et de se développer dans le futur. Les termes qu’ils se sont vus offerts étaient nettement moins généreux que ceux traités précédents. Les signataires recevaient cinq dollars par personne à la signature, 160 acres de terres de la réserve par famille, des annuités, quelques outils et une promesse d’aide pour des écoles et des soins médicaux.
Sur papier, on aurait été porté à croire que c’était un partenariat. Pendant la cérémonie, une promesse sacrée a été faite, soit de partager le territoire « tant que brillera le soleil, que poussera l’herbe et que coulera la rivière ». En pratique, plusieurs de ces promesses ont été rompues. [Musique d’introduction]
Angela Misri:Bienvenue à Voyages dans l’histoire canadienne. Je m’appelle Angela Misri. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est produit par The Walrus Lab.
150 ans plus tard, l’héritage du traité numéro 5 continue de façonner la vie quotidienne des communautés du Nord. Pour comprendre l’ampleur des promesses non tenues, nous commençons l’épisode d’aujourd’hui avec le témoignage d’une personne dont l’histoire familiale a été profondément marquée par ce traité.
Deanne Kasokeo; Je suis en partie Crie. J’ai aussi des origines assiniboines, écossaises et françaises. Mistahi-maskwa, connu sous le nom de Big Bear, est mon arrière-arrière-arrière-grand-père. Son plus jeune fils, Horse Child, était marié à mon arrière-grand-mère, Mary Pimi.
Angela Misri: Vous entendez Deanne Kasokeo [Kassoh-key-oh], une avocate, une défenseure et une éducatrice qui puise une partie de son savoir dans les histoires de sa grand-mère. Pour elle, ce n’est pas qu’un pan de l’histoire, c’est une histoire de famille.
Deanne Kasokeo: Les femmes étaient celles qui prenaient des décisions, comme elles le devaient, n’est-ce pas? Parce que nous sommes les gardiennes du feu à la maison. Nous savons ce qui est le mieux pour les enfants dans notre communauté. Mais de dire cela, que les hommes et les femmes avaient chacun un rôle d’égal à égal, c’était comme ça dans notre système, mais c’étaient toujours les femmes qui prenaient les décisions finalement. Donc, elle était une vraie matriarche dans notre communauté et celle que tout le monde consultait.
Angela Misri: Sa grand-mère a aussi encouragé Deanne à poursuivre ses études, mais dans un but très spécifique, soit de bien connaître les outils tels que le système juridique canadien afin de défendre son peuple.
Deanne Kasokeo: Elle ne parlait jamais anglais. Elle parlait strictement le cri, le vieux cri. Ils ne voulaient pas que je le parle en raison des systèmes de pensionnats et de tout ce qu’il a occasionné. J’ai fréquenté des écoles de blancs et c’était l’une des raisons. Elle m’a dit que je devais apprendre ce qui est écrit sur le papier de l’homme blanc parce que c’est ce pour quoi ils nous ont battus dans le traité. Elle m’a dit d’aller chercher une éducation, d’apprendre ce qui se trouve sur ce papier, de revenir et d’aider ma communauté.
Angela Misri: Ce conseil a exercé une influence sur tout ce que Deanne a choisi d’entreprendre par la suite, mais il a aussi amené son lot de défis. Elle s’est retrouvée non seulement à sensibiliser les Canadiens, mais aussi sa propre communauté.
Elle mentionne que la colonisation a brisé la transmission du savoir, laissant sa communauté totalement déconnectée de ses droits issus des traités. Néanmoins, son but était clair: protéger ces droits. Pour Diane, les traités ne sont pas de simples anciens documents.
Deanne Kasokeo: Plusieurs personnes pensent qu’il s’agit d’un laissez-passer gratuit ou d’une carte gratuite, mais ce qu’elles ne comprennent pas les conséquences de la colonisation à travers les politiques coloniales, en particulier lorsqu’il s’agit d’un traité comme celui-ci qui a longtemps été mis de côté, passé sous silence en raison du pouvoir qu’il renferme. Ce n’est pas simplement un document ou un accord relégué au passé. C’est un accord vivant, sacré, conclu avec le calumet. Il a été signé dans le cadre d’une cérémonie, au nom de mon peuple. Et mon peuple n’a jamais pris ce traité à la légère.
Angela Misri: Mais ces ententes sacrées continuent d’être bafouées par les politiques coloniales. Prenez par exemple les promesses d’indemnisation souvent appelées «vaches et charrues», des animaux d’élevage et de l’équipement agricole qui devaient aider les communautés à développer des moyens de subsistance plus durables, mais ils n’étaient jamais livrés comme prévu. Ou la Medicine Chest Clause qui devait assurer des soins de santé en continu, mais que le Canada n’a pas réussi à honorer.
Deanne Kasokeo: Le plus grand tort causé à mon peuple par les politiques coloniales demeure le système des pensionnats. Pendant six ans, j’ai été engagée comme défense sur cette question, et je connais de près les conséquences profondes que ces institutions ont eues sur ma communauté.
Angela Misri:Les dommages ne se sont pas terminés avec la fermeture des écoles. Le traumatisme a perpétué à travers les générations, touchant profondément nos vies, les communautés et même la façon dont les Autochtones sont traités dans le système de justice.
Et malgré tout cela, Deanne a toujours persévéré dans son rôle de défenseure.
Deanne Kasokeo: Dans mon travail, je crois que mon rôle est de défendre constamment mon peuple et de défendre ce que nous exigeons afin de pouvoir progresser. Et une chose est certaine, cela doit passer par la reconnaissance du traité et que nous sommes des gens de traité. Nous sommes tous et toutes lié.e.s par le traité.
Angela Misri: Elle a même travaillé au Living Sky School Division, à North Battleford en Saskatchewan, afin de faire en sorte que les enseignants le comprennent aussi, que les traités ne s’adressent pas uniquement aux communautés autochtones, mais à toutes les personnes habitant ce territoire.
Deanne Kasokeo: J’ai développé leur programme éducatif pour les enseignants ainsi que des ressources. J’ai travaillé avec eux et je leur ai posé la question: «Êtes-vous signataires d’un traité?» Et ils répondaient : « Non, nous n’avons pas de droits issus de traités.» Alors je leur posais une autre question: «Possédez-vous une maison? Des terres?» Oui, bien sûr. Eh bien, voilà votre traité. Vous en bénéficiez tous les jours. Mais ce n’est pas réciproque: le Canada ne respecte pas ces traités.
Angela Misri:Dans tout ce qu’elle fait se retrouve l’esprit que sa grand-mère lui a inculqué: de parler au nom de son peuple et de rappeler au Canada que les traités sont toujours en vigueur.
Deanne Kasokeo: Il est assez difficile d’aborder la question des traités et, ce, même dans mon travail dans des procès parce que le Canada ne souhaite pas aborder un sujet qui soit lié au contenu des traités. Tout ce que je peux faire, c’est d’éduquer la cour et de lui faire savoir que, vous savez, non, voilà qui nous sommes et voilà ce que nous voulons. Et vous savez, il s’agit toujours de notre territoire.
Angela Misri:L’histoire de Deanne nous démontre comment l’histoire des traités se perpétue à travers les familles, avec de la résilience et avec la volonté d’éduquer les autres. Mais son expérience s’inscrit dans un cadre bien plus large.
Afin de comprendre ce que le traité numéro 5 signifie pour nos communautés aujourd’hui, pour les leaders et pour le futur, nous nous adressons maintenant à quelqu’un qui porte cette mission tous les jours. Cheffe Maureen Brown: Mon nom est Maureen Brown. Je suis cheffe de la Nation crie d’Opaskwayak.
Angela Misri: Bonjour, Cheffe Brown.
Cheffe Maureen Brown: Bonjour!
Angela Misri: Plus de 150 années se sont écoulées depuis le premier traité, plus de cinq accords ont été signés. Selon vous, quelles sont les conséquences du traité qui persistent encore aujourd’hui dans vos communautés?
Cheffe Maureen Brown: Ainsi, les conséquences qui persistent toujours aujourd’hui dans nos communautés sont les structures qui nous marginalisent et qui continuent de façonner les façons de penser. Cela a grandement influencé notre vie et nécessitera beaucoup de patience pour changer ce paradigme parce que nous avons été conditionnés à considérer le gouvernement comme la seule et unique solution à tous nos problèmes. Vous savez, à l’époque où j’ai grandi, dans les années 1960 et 1970, j’ai pu observer la résurgence. J’ai été témoin de la force de nos anciens dirigeants et des Aînés et Aînées pendant cette époque. Ils savaient qui ils étaient et reconnaissaient les limitations des traités. Pas les traités en soi, mais la définition des traités, qui est la Loi sur les Indiens. C’est l’outil administratif qui sert la Loi sur les Indiens et leur interprétation de ce qui s’est passé; aussi, pour que nos dirigeants de l’époque puissent enfin reconnaître qui nous sommes en tant que peuple des Premières Nations. Il est essentiel de faire état des restrictions imposées, notamment celles qui limitaient la liberté de quitter la réserve et d’en comprendre les effets. Vous savez, vous pouvez mettre des lois pour empêcher l’accès à l’enseignement supérieur ou pour interdire de protester contre le gouvernement sur, vous savez, sa responsabilité de veiller à ce que les traités soient respectés, l’honneur de la Couronne, et tout ça, vous savez, tout ça a eu un impact. J’en constate encore aujourd’hui les répercussions dans les communautés. C’était comme si maintenant tout devait passer par le chef et le conseil. Cela dérangeait profondément mes parents parce qu’ils reconnaissaient la dépendance créée par le gouvernement avec nous. Je l’ai beaucoup entendu chez des Aînées et des Aînés qui sont décédés aujourd’hui, mais qui ont toujours souhaité lutter contre cette dépendance. Donc, je ne veux pas vous prêter de fausses intentions, mais on dirait que vous avez pris le relais, n’est-ce pas? On dirait bien que j’ai grandi à une époque où, par un phénomène que je ne m’explique pas totalement, j’étais consciente de ce qui se passait sous mes yeux. J’ai été témoin des enseignements transmis en des temps de profonde angoisse. En même temps, j’ai vu comment notre peuple a trouvé la force de surmonter ces épreuves.
Cheffe Maureen Brown: J’y ai été témoin en tant qu’enfant, que jeune adolescente, que jeune personne et en tant qu’adulte à une époque stratégique, à des étapes marquantes qui endurcissent votre caractère. Je sais que j’ai eu de longues conversations avec des Aînés et des Aînées qui vivent au pays qui a grandement contribué au développement de notre peuple. Nous nous préoccupons maintenant de la plus jeune génération, des plus jeunes chefs parce que nous nous remettons tranquillement sur pied des traumatismes que nous avons vécus. La dernière chose à laquelle nous pensons en ces instants est de transmettre notre savoir et les enseignements qui nous sont propres. J’étais tout simplement heureuse d’être en vie. On constate maintenant qu’ils ne connaissent pas les bases de ce qu’est un traité. Oh oui, je vais signer cet accord. Il me semble adéquat! Vous savez, des choses comme ça. Il s‘agit d’un problème troublant pour les plus vieilles générations qui reconnaissent la responsabilité du gouvernement de représenter la Couronne pour faire respecter les traités. Nous devons concilier cet élément de notre côté, mais la Couronne a aussi, ils n’ont pas la signification historique et la connaissance de ce qu’est un traité. Afin qu’ils honorent la Couronne, l’honneur de la couronne soit compromis et sans qu’ils s’en rendent compte. Il faut vraiment une grande prise de conscience et une éducation pour la jeune génération.
Angela Misri: Ouais, mais il me semble que vous portez les deux facettes de cette histoire. Comme vous dites, la Couronne doit en être responsable, la jeune génération doit en être consciente. Tout le monde doit en savoir davantage. Alors, lorsque vous parlez d’une histoire aussi étendue dans le temps, comment faites-vous la part des choses entre ce qui a été promis dans les traités et la réalité de ce qui a été réellement livré ou non à votre peuple?
Cheffe Maureen Brown: En fait, c’est une question d’équilibre. Je reconnais la réponse du gouvernement, en tant que représentants de la Couronne, nous avons une responsabilité fiduciaire de respecter les clauses des traités et d’agir dès lors rapidement. En tant que dirigeante élue, ma manière d’y répondre est de collaborer avec le gouvernement sur un pied d’égalité, en tant qu’êtres humains responsables. Mon objectif est d’améliorer nos pratiques afin d’assurer que nous soyons responsables et transparents, et que nos communautés puissent avoir accès aux services auxquels elles devraient avoir accès légitimement.
Cheffe Maureen Brown: Vous savez la promesse au droit à la santé et, maintenant, l’ensemble des Premières Nations vivent une crise sanitaire. En fait, notre pays traverse une crise de santé publique. Mais si l’on multiplie cela par 10 ou 20, on réalise que la crise sanitaire dans la réserve dépasse largement celle vécue dans le reste de la société, car nous ne disposons pas des ressources financières nécessaires. Heureusement, à OCN, à Opaskwayak, nous avons la capacité et les moyens d’y faire face. Ce qui est assez intéressant, c’est que nous sommes situés tout juste de l’autre côté de la rivière. Ils ont les installations, mais ne disposent pas d’une capacité d’accueil suffisante.
Angela Misri: C’est intéressant de penser que chacun dispose d’un morceau, mais qu’aucun ne dispose de l’entièreté de la chose.
Cheffe Maureen Brown: Exactement! Travaillons ensemble. C’est ce que je veux dire en parlant de mettre notre humanité au défi en 2025. Nous devons faire preuve de responsabilité et nous doter de solutions concrètes pour être à la hauteur de nos engagements.
Angela Misri: Ouais, quels constats pourrions-nous tirer du traité numéro 5 qui pourraient être utiles au grand public de comprendre?
Cheffe Maureen Brown: Je crois que l’une des choses qui sont maintenant au centre de plusieurs des discussions entourant le traité numéro 5, ce sont les vaches et charrues, n’est-ce pas? Les avantages agricoles… parfois, beaucoup de gens restent figés dans une vision un peu dépassée, une vache, une charrue, et c’est tout. Mais que représentait réellement cette image, au fond? N’est-ce pas? Elle symbolisait l’indépendance, soit l’indépendance économique. Ainsi, on ne doit pas continuer de se raconter cette histoire. On doit mettre notre attention sur l’intention réelle derrière, sur l’esprit et l’intention et ils le savaient. Par ailleurs, en ce qui concerne les vaches et les charrues, l’une des demandes qui nous ont été faites est d’indemniser le gouvernement pour tout droit futur. Mais cela n’a aucun sens, puisque le traité est clair: c’était censé être accordé une fois pour toutes. N’est-ce pas? Les vaches et les charrues, c’était une promesse définitive. Et une fois pour toutes, ça veut bien dire une fois pour toutes et pour moi aussi. Pour mes enfants, une fois pour toutes. Pour mes petits-enfants, ce concept n’existe pas vraiment et sa définition n’est plus comme avant, vous voyez.
Angela Misri: Ouais. Ce n’est pas un cas isolé.
Cheffe Maureen Brown: Oui, en effet. Oui.
Angela Misri: Je comprends, ouais. En repensant à ces 150 années qui nous ont menés jusqu’au traité numéro 5, avez-vous espoir? Je veux dire, c’est une question ouverte. Avez-vous espoir en l’avenir?
Cheffe Maureen Brown: Tout à fait. J’ai espoir pour le futur. J’ai espoir en l’humanité. Vous savez, nous sommes en 2025 et j’ai remarqué, chez les gens, j’ai remarqué que notre société devient de plus en plus conscientisée. Je demeure très reconnaissante envers la plus jeune génération parce qu’ils sont plus ouverts. J’ai remarqué que leur quête de justice sociale et leur responsabilité sociale sont bien plus grandes que la génération précédente. J’ai beaucoup d’espoir à ce sujet. J’espère sincèrement que la Couronne et ses représentants n’auront pas à venir vers nous. C’est ce que les gens pensent souvent, n’est-ce pas? Qu’ils n’ont pas besoin d’aller vers eux. Mais en réalité, ils le font, et c’est précisément pour ça. Vous savez quoi? Ils ne le feraient pas s’ils n’y étaient pas contraints. Donc, j’ai bon espoir qu’ils prennent conscience de leur responsabilité, de l’honneur qui incombe à la Couronne, et qu’ils pourront défendre cette intégrité. Puisque depuis le jour de la signature des traités, les représentants de la Couronne ont commencé à chercher des échappatoires. C’est fou, quand on y pense.
Angela Misri: C’est tellement vrai. C’est comme si le moment que vous le signez, vous vous demandez soudainement comment ne pas faire les choses que vous avez dites que vous alliez faire.
Cheffe Maureen Brown: Pas seulement ça, mais ils devraient être en train de travailler en ayant l’intérêt des Premières Nations à cœur et ne pas nous amener devant la Cour suprême à chaque occasion. Franchement. Vous savez ce que j’ai découvert il y a quelques années? Faire évoluer les choses ne devrait pas être optionnel. Nous devrions pouvoir évoluer. Vous savez, cela devrait être obligatoire, n’est-ce pas?
Angela Misri: Dans tous les autres aspects de notre vie, nous cherchons à évoluer. Il est donc assez paradoxal de rester figés dans le passé et de débattre encore de choses sur lesquelles un accord avait déjà été trouvé. Cela crée une situation vraiment étrange.
Cheffe Maureen Brown: C’est une situation assez étrange dans laquelle nous nous trouvons. Lorsque le projet de loi C-5 est entré en vigueur, en tant que cheffe, j’ai été traversé par une série d’émotions qui me rappelait l’état d’esprit de la ruée vers l’or, vous voyez ce que je veux dire. Ce fut assez troublant de vivre en tant que cheffe, soit d’être témoin et de sentir l’esprit de la ruée vers l’or. C’était il y a, je ne sais combien d’années, nous devons bien avoir évolué… nous devons être devenus plus humains. C’est fou. Quand je dis en tant que société, je veux dire en tant que groupe humain pris dans sa globalité.
Cheffe Maureen Brown: Vous savez, je dirais que l’un des plus gros problèmes que nous avons présentement avec le traité numéro 5 est la question des annuités, cela en est ridicule. Les gens s’attaquent à ce problème en ce moment même. En tant que cheffe d’Opaskwayak, j’ai commencé à connaître l’ensemble des cas et des projets et des propositions dans lesquelles nous avons été impliquées et nous avons été lésés et cela doit cesser. Nous devons faire mieux en tant que société.
Angela Misri: Avez-vous remarqué des améliorations sous le gouvernement actuel? Avez-vous constaté des progrès, que ce soit dans leurs actions, leurs paroles ou leur attitude générale, qui pourraient nous donner un peu d’espoir envers cette nouvelle administration?
Cheffe Maureen Brown: Oui, en fait, plus tôt en juillet, nous étions à Ottawa et le premier ministre Carney était présent toute la journée. Je n’avais jamais été impliquée dans un tel évènement où on passe toute la journée avec le premier ministre de votre pays pour une journée entière. Écouter ce que nous avions à dire, que les gens arrivent avec leurs propres idées ou non, ce qui compte, c’est leur manière d’avancer. Je veux dire, leur accorder du temps parce que le temps, c’est précieux. Du temps pour écouter et surtout pour qu’on puisse vraiment s’entendre. J’ai constaté une réelle différence à ce niveau-là. Je sais bien que les dirigeants du pays doivent jongler avec de nombreux dossiers et porter plusieurs casquettes à la fois, gérer les enjeux urgents, les priorités sur la table, etc. Mais malgré tout, j’étais très optimiste. C’était vraiment encourageant de voir cette volonté à dialoguer et à collaborer.
Angela Misri: C’est bien, car j’ai voté pour lui donc il doit bien faire quelque chose.
Angela Misri: Cheffe Brown pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui se passe au niveau des élections?
Cheffe Maureen Brown: Ouais, nous avons eu un forum à ce sujet hier soir et j’étais légèrement déçue que plusieurs des questions ou plutôt l’ensemble des questions portent sur la communauté, sur ce qui se passe au sein d’elle, plutôt que sur ce qui se passe réellement avec la dégradation de nos droits issus des traités. Vous savez, c’est un combat de tous les instants. Ce sont justement ces enjeux qui nécessitent toute notre attention. En ce moment, trois candidats sont en lice pour le poste de chef, ce sont tous d’anciens chefs. L’un d’eux a même déjà été vice-chef. Ce qui m’a donné de l’espoir pendant mon mandat, c’est la présence active de quatre anciens chefs dans la communauté. Ils se sont mobilisés, m’ont encouragée et ont exprimé leur volonté de contribuer. Nous avons besoin de cet esprit de coopération, de collaboration et de travail d’équipe pour faire avancer notre communauté. Je suis la première femme élue cheffe de notre communauté. Je reconnais que nous avons accompli beaucoup de choses ensemble. J’ai siégé au conseil auparavant, c’est d’ailleurs mon cinquième mandat. Je connais bien les rouages du système et je constate les progrès réalisés, même s’ils peuvent parfois être lents en raison des tensions entre deux factions au sein du conseil. C’est déjà arrivé.
Je sais, j’étais là et je n’aurais jamais permis que cela arrive. Non, nous ne pouvons pas fonctionner de cette manière. Nous sommes ici pour servir notre communauté, pas pour servir notre avancement personnel. Notre responsabilité est de faire progresser notre peuple. Et c’est ainsi que nous avons connu une croissance sans précédent en matière de logement. Pendant cette période, nous avons lancé la construction de trois immeubles d’appartements à Winnipeg, un projet conçu pour créer de la richesse aux générations futures et assurer un investissement à long terme pour nos membres. Notre zone commerciale est également entrée dans la deuxième phase d’agrandissement de la clinique. Un centre d’éducation et de formation verra bientôt le jour. En ce qui concerne les dossiers juridiques, ils seront traités devant les tribunaux. D’ailleurs, j’ai rencontré hier le juge en chef Rolston ainsi que d’autres juges du Manitoba pour discuter de la voie à suivre. Il se passe énormément de choses en ce moment dans notre communauté, et je suis très fière du travail accompli par ce conseil. Et bien sûr, il y a la constitution. C’est une de mes priorités. L’un de mes mandats en tant que cheffe a été de lancer le processus de rédaction d’une constitution. Ce n’est pas encore terminé, mais ça le sera éventuellement. Une fois adoptée, cette constitution sera transmise au gouvernement du Canada, à la Couronne, pour leur signifier clairement: ceci est notre terre, notre foyer et ce sont nos lois. Angela Misri: Cela me semble formidable. Bonne chance pour votre élection.
Chief Maureen Brown: Merci!
Angela Misri: Quand se tient l’élection?
Cheffe Maureen Brown: Le 25 septembre et je trouve incroyable de voir autant de gens dans la province qui regardent. Quelques personnes m’ont dit qu’elles me suivaient depuis que j’avais été élue et je me suis dit «wow»! Vous savez, je ne savais pas qu’autant de personnes s’intéressaient à nous et notre évolution et à notre succès.
Angela Misri: Ce sont d’excellentes nouvelles. Je parle ici de littératie au sens de la compréhension des structures gouvernementales d’autres pays et de leur fonctionnement. C’est vraiment formidable à entendre.
Cheffe Maureen Brown: Je dirais que nous ne pourrions être assis à la table s’ils ne nous y avaient pas invités. Nous devons nous en rappeler.
Angela Misr: Oui, c’est très vrai. Merci beaucoup pour votre temps, Cheffe Brown.
Cheffe Maureen Brown:C’est un plaisir. En vous souhaitant une excellente journée et en vous souhaitant le meilleur.
ANGELA: Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par le gouvernement du Canada et est créé par The Walrus Lab. Cet épisode a été produit par Jasmine Rach et est édité par Nathara Imenez. Amanda Cupido est la productrice exécutive.
Pour plus d’anecdotes sur les grands moments de l’histoire canadienne et pour lire les transcriptions en anglais et en français, visitez thewalrus.ca/CanadianHeritage.
Il y a aussi une version française de ce balado intitulée Voyages dans l’histoire canadienne. Donc, si vous êtes bilingue et que vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez retrouver ce balado sur votre plateforme d’écoute en continu préférée.
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