Quand la Guerre de l’indépendance américaine a frappé le Québec | Unpublished
Hello!
Source Feed: Walrus
Author: The Walrus Lab
Publication Date: October 15, 2025 - 11:53

Quand la Guerre de l’indépendance américaine a frappé le Québec

October 15, 2025

“À l’automne 1775, quelques mois seulement après le début de la Révolution américaine, les commandants américains Richard Montgomery et Benedict Arnold mènent des troupes rebelles vers le nord, depuis les Treize Colonies. Leur mission : s’emparer de la province de Québec, alors sous contrôle britannique.

La campagne américaine dans la Belle Province dure plusieurs mois et comprend une série d’affrontements menés par de grandes figures historiques. Elle atteint son point culminant le 31 décembre 1775, lorsque, aux premières heures du matin — au cœur d’une violente tempête de neige —, les Américains lancent leur assaut contre la ville de Québec.

Dans cet épisode, Philipp Portelance, doctorant à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Heidelberg, en Allemagne, spécialisé en histoire militaire, nous aide à reconstituer la décisive bataille de Québec du 31 décembre 1775. Ensuite, Luc Nicole-Labrie, coordonnateur à la médiation historique pour la Commission des champs de bataille nationaux, se joint à nous pour explorer en profondeur la campagne militaire américaine dans la province de Québec.”

Écoutez l’épisode :

Ariane Simard Côté 00:01 – Nous sommes le 31 décembre 1775, et nous nous trouvons sur les plaines d’Abraham. Le soleil ne s’est pas encore levé, et le froid mord, le vent coupe, la neige tombe à gros flocons.

Mais malgré ces conditions rudes, environ mille soldats américains—des rebelles venus des treize colonies—se préparent. Ils ajustent leur équipement, ils chargent leurs fusils, ils se rendent en colonnes. Dans quelques minutes à peine, ils lanceront une attaque historique : l’invasion de Québec.

Bienvenue à Voyages dans l’histoire canadienne, un balado qui décortique les moments marquants — et parfois les vérités dérangeantes — de l’histoire de notre pays.

Ce balado est financé par Patrimoine canadien et produit par The Walrus Lab. Je suis votre animatrice, Ariane-Li Simard-Côté. Cet épisode souligne le 250e anniversaire de l’invasion de Québec, survenue durant la guerre d’indépendance des États-Unis.

Ariane Simard Côté: Ça fait déjà quelques semaines que les troupes américaines campent sur les plaines d’Abraham. Elles sont dirigées par deux commandants : le général Richard Montgomery, qui, en novembre 1775, a réussi à prendre le contrôle de Montréal, et le colonel Benedict Arnold, arrivé sur les plaines après une expédition éprouvante à travers ce qui correspond aujourd’hui à l’État du Maine.

Philipp Portelance: Arnold, finalement, est arrivé à peu près 650 hommes. Il va être renforcé par environ un 400 hommes, 3 à 400 hommes de Montgomery. Donc, si on parle, environ d’à peu près 1000 Américains maximum.

Ariane Simard Côté: Philipp Portelance est doctorant à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Heidelberg, en Allemagne, où il se spécialise en histoire militaire. Il est également directeur général des Anciennes Troupes Militaires de Montréal, un organisme qui a comme but de promouvoir les connaissances sur le patrimoine militaire au Québec.

Philipp Portelance: Les défenseurs, au même moment, sont proches de 1200 normalement aussi. Donc, quand on attaque une place forte, on considère qu’il faut au moins avoir 1,5 fois le nombre d’hommes qui défendent. Donc, on voit que là, les Américains sont en infériorité numérique de base et, en plus, justement, ils ont des défenseurs.

Ariane Simard Côté: En plus des 1 200 soldats britanniques retranchés dans la ville, environ 600 miliciens et marins sont prêts à défendre Québec, portant le nombre de défenseurs à environ 1 800 hommes et accentuant encore davantage l’infériorité numérique des rebelles. Autrement dit, les conditions ne sont pas favorables à la réussite américaine.

Philipp Portelance: Dès le 5 décembre 1775, il y a le médecin Isaac Senter, qui fait partie des troupes d’Arnold, qui mentionne que le nombre de malades commençait à être considérable et va l’être de plus en plus. Donc, effectivement, c’est quelque chose qui est important. En fait, les troupes américaines sont très indisciplinées. C’est une armée qui vient de se former un peu ad hoc, de milice. Donc, c’est des gens qui, en plus, veulent se battre pour la liberté, le fait d’être nécessairement super contrôlés, c’est pas quelque chose qu’ils apprécient. D’où le fait que leur expiration, leur engagement, s’en vient, et si on reste plus longtemps, ils voient ça comme l’esclavage.

Ariane Simard Côté: Effectivement, la majorité des contrats d’engagement des miliciens américains expire le 31 décembre 1775, c’est-à-dire aujourd’hui même. Mais si les rebelles réussissent à prendre Québec, il y a de fortes chances que les troupes acceptent de renouveler leurs contrats. Pour les généraux Montgomery et Arnold, le temps presse…

Philipp Portelance: C’est beaucoup de choses, en fait, qui font que cette armée-là, en même temps, veulent se battre. Parce qu’il y a beaucoup de Canadiens aussi qui sont dans cette armée américaine à ce moment-là, il y a un régiment canadien qui a été formé. Et ce régiment-là, justement, eux, ils veulent se battre, ils veulent jeter les Anglais dehors. C’est aussi Québec, dans le fond, la dernière chose, les Anglais qui restent.

Donc, même si cette troupe-là, le matin même, disons, est pas dans le meilleur des états, quand même, il y a beaucoup de volonté, veux, veux pas, parce qu’on se dit : c’est un dernier push, puis quand on va être à Québec, il va y avoir de la bouffe, on va avoir des habits chauds, on va avoir du bois pour le chauffage, on va être bien installés pour l’hiver.

Ariane Simard Côté: Le temps n’est peut-être pas de leur côté, mais Montgomery et Arnold croient que la météo l’est. Une tempête fait rage, la neige tombe en rafales, et les généraux sont convaincus que ça pourrait jouer en leur faveur.

Philipp Portelance: On décide d’attaquer pendant un blizzard parce que justement, comme je mentionnais, c’est à peu près un millier d’hommes qui ne sont pas dans le meilleur des états, alors qu’on se bat contre plus de défenseurs, on se dit bon, ben si on attaque dans un blizzard, on pourrait potentiellement les prendre par surprise. Parce que ce qu’on décide justement ce matin-là, c’est de prendre Québec par un coup de main, comme on appelle un coup de main.

En fait, c’est de prendre une ville sans l’assaut de canons. C’est comme ça que c’est en fait décrit à l’époque, et on se dit justement que le blizzard va nous permettre de nous approcher le plus près des murailles sans qu’on se fasse voir, et potentiellement aussi que la garnison va même dormir ou justement se réfugier aussi. Donc c’est ça l’idée.

Ariane Simard Côté: Par contre, attaquer en pleine tempête de neige présente aussi des désavantages.

Philipp Portelance 04:32 – C’est assez difficile, l’approche, ce qui fait que certaines des attaques, justement, qui ne se passeront pas, qui sont supposées arriver, même chose, transmettre des ordres, c’est beaucoup plus difficile. Déjà à l’époque, c’était difficile de transmettre des ordres sur le champ de bataille, donc on s’imagine, dans une tempête de neige, encore moins facile.

Et également, Arnold et ses hommes étaient supposés transporter un canon avec eux, qui leur aurait probablement donné du succès s’ils avaient eu un canon, mais même chose, à cause de la neige, ils ont été forcés de l’abandonner. Donc, ils n’ont pas cette pièce de 6 livres avec eux.

Ariane Simard Côté: Et alors, à quatre heures du matin, sous la neige et le vent, les Américains se divisent en trois colonnes et commencent leur approche vers la ville.

Philipp Portelance: Il y a justement celle qui, pour les Américains, serait le flanc gauche, qui est menée justement par Arnold. En traversant le faubourg Saint-Roch avec deux bataillons du Massachusetts et les fameux Riflemen de Morgan, qui sont de Pennsylvanie et de Virginie.

Au centre, c’est supposé être une attaque de diversion. L’idée est justement d’amener des défenseurs, comme on sait qu’ils sont plus ailleurs. Donc, c’est notamment les régiments de Boston et celui des Canadiens qui sont supposés faire une attaque divisionnaire au centre, sur la porte Saint-Jean.

Et un des problèmes, notamment, c’est qu’eux autres, à cause, justement, qu’il y a autant de neige, finalement, ne vont jamais se rendre aux portes. Et c’est une des raisons que, justement, les troupes du centre vont être capables d’être envoyées ailleurs. Et, effectivement, sur leur flanc droit, c’est justement le général Montgomery avec ses quatre bataillons de New York.

Ariane Simard Côté: Montgomery et ses troupes avancent par la petite baie de l’Anse-au-Foulon, longeant le Saint-Laurent pour contourner le Cap au Diamant. Lorsqu’ils sont prêts, ils lancent des fusées éclairantes dans le ciel pour signaler aux deux autres colonnes que l’assaut peut commencer.

Philipp Portelance: L’heure d’après, donc à partir de 5 h zéro du matin environ. C’est là que justement Montgomery et ses hommes arrivent. Il y a une première barricade qui a été érigée. On décide donc de la couper. On va couper les rondins. Même Montgomery se met de la partie. On réussit à les tasser. On arrive à une deuxième barricade. Mais c’est à ce moment là aussi qu’un bloc pousse un blockhouse. Un blockhouse c’est une sorte de tour de garde, on pourrait dire complètement en bois, donc très simple comme fortifications, mais le but c’est simplement d’être un genre de tour de garde. Mais à l’intérieur de ce blockhouse, il y a des petits canons.

Et ces petits canons vont tirer sur les troupes de Montgomery de la mitraille. La mitraille, c’est dans le fond, si les gens connaissent Pirates des Caraïbes, ils ont mis plein de choses dans le canon. C’est un peu similaire, c’est juste plus militaire. Donc on a mis plein de balles. Les Britanniques même. C’est des balles quand même assez grosses en fer. Donc c’est ce coup là justement fatal qui touche Montgomery, notamment à la tête et le tue, ce qui fait que ces troupes vont se retirer.

Philipp Portelance 07:08 – Au même moment, en fait, les troupes d’Arnold commencent à se faire tirer dessus. Lui, il arrive justement par les quais proches de la première barricade, mais il va être capable de prendre la première barricade. Au même moment aussi, de l’autre bord, la rivière Saint-Charles, donc au bord de Québec, il y avait aussi d’autres troupes qui étaient supposées joindre, rejoindre Arnold, mais encore une fois, à cause de la tempête, eux, ça leur a pris du temps de comprendre que l’attaque avait commencé. Difficile avec les communications à l’époque, donc on commence à traverser beaucoup plus tard.

Ça, c’est un autre truc qui est quand même assez important dans l’attaque. Si ses troupes-là avaient été là déjà plus tôt pour rejoindre les troupes d’Arnold, peut-être que cette force-là aurait été assez pour prendre Québec.

Ariane Simard Côté: Entre 5 h et 6 h du matin, les mouvements d’Arnold et de ses hommes sont détectés. Des tirs de mousquets et de canons britanniques s’abattent sur eux depuis les remparts. Soudain, un coup de canon retentit, et Arnold est frappé à la jambe. Les tendons d’Achille presque arrachés, le colonel ne peut plus avancer. Ses hommes le traînent hors du champ de bataille, et le commandant Daniel Morgan prend alors la relève.

Philipp Portelance: Il y a son second, Morgan, qui devient le commandant à ce moment-là. Lui, quand même, son assaut se passe assez bien, on réussit à prendre la première barricade. On arrive à la deuxième qui, à ce moment-là, n’est pas encore défendue par aucune troupe britannique. Par contre, comme on se dit Ah ! Les renforts arrivent bientôt parce qu’on ne sait pas qu’ils sont en retard, donc on se dit on va les attendre. Le temps d’attente fait que les Britanniques ont le temps de ramener les troupes et finalement manier la seconde barricade.

Et aussi, on a réalisé que l’assaut de Montgomery avait été arrêté et que les Américains se retirent et ne attaqueront pas du côté sud. Donc on décide de rapatrier toutes les troupes qui sont au Cap Diamant pour aller attaquer dans le fond les forces de Morgan. Ce qui fait que finalement, entre 7 h et 8 h, Morgan va se retrouver encerclé des deux côtés. Ce qui fait qu’après finalement, de 8 h zéro à 10 h environ, après quand même des combats très très acharnés dans les rues, c’est quand même 2 h de combat.

Finalement, quand on réalise que les troupes, justement, qui viennent de l’autre bord de Saint-Charles se sont complètement faites capturer, on réalise qu’on est encerclé. On a quand même perdu plusieurs hommes. On décide de se rendre parce qu’on sait qu’on ne pourra pas gagner la bataille.

Ariane Simard Côté: C’est ainsi qu’après environ six heures de combat, la bataille prend fin. Du côté britannique, le gouverneur Carleton et ses hommes ne déplorent qu’une poignée de pertes : cinq ou six morts — selon les sources — et une quinzaine de blessés. En revanche, chez les rebelles américains, sur environ mille assaillants, on compte une cinquantaine de morts, une trentaine de blessés, et plus de quatre cents prisonniers. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Philipp Portelance: Ce qui est quand même intéressant à savoir aussi, c’est que le matin du 1ᵉʳ janvier, parce que la journée continue, on n’est pas sûr, il y a une confusion de savoir qu’est-ce qui se passe des deux côtés. On n’est pas sûr exactement de ce qui s’est passé.

Les Américains, justement, n’ont pas eu de nouvelles à ce moment-là. On ne sait pas si la basse-ville est capturée, on ne sait pas si on est en train de gagner. Même la garnison de la ville n’est pas sûre s’il y a une autre attaque qui va suivre ou non. En fait, c’est seulement le 2 janvier que le major Meigs va être envoyé sous parole — donc, dans le fond, sous parole qu’il ne va pas essayer de fuir à ce moment-là — il va être envoyé au camp d’Arnold pour leur expliquer que oui, finalement, l’attaque n’a pas fonctionné et qu’on a perdu.

Ariane Simard Côté: Donc, la bataille est terminée. La ville de Québec et les Britanniques ont tenu bon. Mais bien des histoires restent à raconter : la bataille de Québec a marqué un moment décisif — sans doute un tournant clé — dans une campagne militaire beaucoup plus vaste, qui s’est étendue sur plusieurs mois et dont les traces restent visibles au Québec et au Canada encore aujourd’hui.

Pour nous aider à mieux comprendre cette tentative audacieuse, mais finalement infructueuse, des révolutionnaires américains au Québec, Luc Nicole-Labrie se joint à nous. Bonjour !

Luc Nicole-Labrie: Bonjour !

Ariane Simard Côté: Pour commencer, est-ce que vous pourriez vous présenter rapidement à nos auditeurs?

Luc Nicole-Labrie 10:38 – Oui, je suis coordonnateur à la médiation historique pour la Commission des champs de bataille nationaux. C’est l’organisme qui s’occupe de protéger, de mettre en valeur les plaines d’Abraham et, en fait, un certain nombre d’autres parcs dans la ville de Québec, notamment le parc des Braves. Ça fait maintenant plus de 18 ans que je travaille pour la Commission des champs de bataille nationaux. Donc, dans mon rôle, je m’occupe de faire notamment les recherches historiques par rapport aux activités d’interprétation, aux activités pédagogiques, une partie des expositions aussi. Donc, c’est…

Ariane Simard Côté: Donc, vous êtes la personne tout indiquée pour nous parler de ce sujet-là aujourd’hui. On est vraiment privilégiés de vous avoir avec nous. Donc, dans la première partie de l’épisode, on a parlé de la bataille de Québec qui a eu lieu le 31 décembre 1775. C’est une tentative d’invasion américaine qui ne sort pas de nulle part, dans le fond. Est-ce que vous pourriez nous situer un peu plus le contexte historique de l’époque ? Qu’est-ce qui se passait au Québec et aux États-Unis vers la fin de l’année 1775 ?

Luc Nicole-Labrie: Je vais même remonter un petit peu dans le temps, parce que je pense que c’est assez important pour le remettre en contexte.

Ariane Simard Côté: Parfait

Luc Nicole-Labrie: Pour moi, je pourrais dire : je suis quasiment chanceux, je peux remonter jusqu’à la bataille des plaines d’Abraham de 1759. Vous allez dire, c’est un peu loin — peut-être pas si loin — mais en même temps, c’est important de la comprendre, pourquoi cette bataille-là est un peu une… je vais dire, un point tournant dans ce qui va se passer dans les treize colonies, hein.

Parce que la guerre qui se passe, la guerre de Sept Ans qu’on appelle, nous, ici, au Québec, dans le Canada français, souvent la guerre de la Conquête, cette guerre-là oppose ici essentiellement, oui, les Britanniques et les Français, mais c’est les coloniaux américains — donc les gens des treize colonies — et les gens de la Nouvelle-France, hein, au départ. Les gens des treize colonies cherchent à agrandir leur territoire vers l’ouest. C’est une des causes de cette guerre-là. Et pourquoi je reviens à cette guerre-là pour parler du contexte de 1775 ? Eh bien, c’est que les habitants des treize colonies n’ont pas encore l’impression d’avoir reçu leur dû, finalement.

Une des principales raisons pour lesquelles ils se battaient, c’était d’agrandir leur territoire, de pouvoir avoir un peu plus d’espace pour le 1,5 million, environ, de colons qui sont dans ces treize colonies-là. Également, en 1775, on est en train de se… disons qu’il y a des tensions qui sont assez grandes. On a l’impression que la Couronne britannique vient chercher des ressources en Amérique, vient chercher nos taxes, c’est-à-dire notre argent. Et on a donc l’impression, avec cette absence de gains territoriaux-là, cette absence de nouveaux pouvoirs-là, disons, indépendants de la Couronne. On a l’impression qu’on n’en a pas pour notre argent, que la Couronne ne respecte pas l’impact ou l’importance de ce que représentent ces treize colonies-là, rendu à 1775.

De l’autre côté — donc 1759-1760, je reviens sur les Plaines — il y a les batailles, mais les Britanniques prennent Québec et vont installer, à partir de 1763, suite à la Proclamation royale, un gouvernement anglais. Donc, ça devient la province de Québec, une 14ᵉ colonie britannique en Amérique.

Et cette 14ᵉ colonie-là a une partie du territoire qu’on voulait dans les treize colonies. Mais en plus de ça, ce qu’on va sentir, c’est qu’on va être un peu gentils avec les habitants de la province de Québec. Il y a des raisons, hein, pour ça, parce que la province de Québec est relativement isolée six mois par année, à cause de l’hiver, entre autres, mais on va être dans une situation où on va avoir besoin de donner des bonbons, donner des choses qui vont faire en sorte que les habitants de la province de Québec, eux, vont se sentir — ces Français-là, ces Canadiens-là, mais je vais dire d’origine française — vont se sentir des sujets britanniques.

Luc Nicole-Labrie: En 1763, on leur impose, par exemple, s’ils veulent participer aux activités coloniales, le serment du Test, donc changer la religion, renier la religion catholique. On leur impose la langue anglaise. Et donc, en 1774, en fait, on va faire passer une loi en Angleterre qui est l’Acte de Québec, où on va, grosso modo, mettre fin à ces exigences-là. On n’impose plus la langue anglaise, on n’impose plus la religion. En fait, on va permettre aux catholiques de pouvoir conserver leur religion.

Ça va faire partie, l’Acte de Québec, d’une de ces lois dites intolérables. Il va y avoir une série de lois qui vont être adoptées par le Parlement britannique, notamment, qui vont demander, justement, des taxes de plus. L’Acte de Québec en fait partie, et c’est vraiment dans ce contexte-là qu’on est en 1775, où là, les colonies décident que c’en est trop. Les treize colonies, c’en est trop, ils vont commencer à envoyer des lettres, assez — je vais dire — fortes à la Couronne. Il va même y avoir des premiers affrontements, on est en avril, mai 1775, les fameuses batailles de Lexington et de Concord.

Ça, c’est vraiment, aujourd’hui encore, ce qu’on qualifie quasiment de début, en fait, de la guerre d’indépendance, même si, officiellement, la guerre n’est pas déclarée. Et c’est dans ce contexte-là, les colonies se sont réunies déjà en congrès continentaux. Elles sont ensemble, elles essaient de déterminer, en fait, la bonne voie, la bonne marche à suivre.

Luc Nicole-Labrie: Ces lois-là arrivent avec Québec. Et là, on sent qu’à l’été 1775, on sait qu’on est sur le bord de la guerre. Finalement, on sait que la guerre est quasiment inévitable. Le Congrès continental envoie la pétition de ce qu’on appelle de la branche d’olivier, donc une espèce de tentative ultime d’aller dire à la Couronne : écoutez, on vous donne des chances, mais vous êtes en train de ne pas nous donner le choix que de nous rebeller contre la Couronne. Alors, s’il vous plaît, répondez à nos demandes.

C’est la Couronne, bien entendu, c’est un roi en Europe, peut-être un peu loin, peut-être également parce que… ben, c’est le roi et ça fonctionne comme ça. Mais le Parlement britannique ne donnera pas assez de poids aux demandes des treize colonies. Et en effet, ben, on s’en va vers la guerre.

Ariane Simard Côté: On s’en va vers la guerre. Juste pour nous mettre en contexte, parce qu’on a parlé de 1760, mais en 1775, il y a combien d’habitants exactement dans la ville de Montréal et dans les villes de Québec?

Luc Nicole-Labrie: On dit qu’à la fin de la Nouvelle-France, donc vers 1760-63, on avait à peu près entre 60 000 et 70 000 habitants dans toute la Nouvelle-France. Vous allez me dire : ben écoutez, la province de Québec, c’est pas toute la Nouvelle-France. Certes, on a perdu quelques parcelles de terrain, mais les parties où on avait le plus grand nombre d’habitants, c’étaient Montréal et Québec, ce sont des villes d’à peu près 6 à 7 000 habitants, jusqu’à 8 à 10 000 habitants à peu près. Grosso modo, c’est deux villes, là, Trois-Rivières, et toute une ville dans laquelle il y a quelques milliers d’habitants. Mais essentiellement, on a des colons qui sont étendus encore, des habitants qui sont étendus dans la vallée du Saint-Laurent. Donc, ça va jusqu’au Grand Lac, mais c’est concentré autour de Montréal et autour de Québec.

Ariane Simard Côté: Et donc, aux États-Unis, on a le désir d’envahir notre territoire ici, au Québec, et ça n’a pas été la première tentative d’invasion. En 1775, il y en a eu une un mois plus tôt, en novembre 1775, où des troupes américaines avaient envahi puis pris le contrôle de la ville de Montréal…

Luc Nicole-Labrie: Vous avez tout à fait raison de le dire. Dans le fond, c’est la même opération. En juin 1775, George Washington va être nommé commandant en chef de la nouvelle armée continentale. Et dans les treize colonies, une des premières choses qu’on va se dire, c’est que si on veut faire la guerre efficacement contre les Britanniques, notre première opération devrait être, donc, mis à part peut-être les opérations naturelles qui sont en train de se passer sur le terrain, on sait qu’autour de Boston, entre autres, il commence à y avoir du grabuge. Lexington, Concorde, ce sont des villes qui sont dans le Massachusetts.

Donc, on pense qu’il va y avoir des problèmes à cet endroit-là. Boston va être un point central assez important. Il va y avoir un siège de la ville de Boston à l’automne 1775. Donc ça, c’est une chose. Mais aussi la province au nord, la province du Québec, va être un problème. Pourquoi ? De un, c’est stratégique, c’est-à-dire que si on n’enlève pas ces territoires britanniques-là, les Britanniques vont toujours pouvoir continuer à faire venir des renforts d’Europe par la vallée du Saint-Laurent.

Ariane Simard Côté: Mhmm.

Luc Nicole-Labrie: Donc on se dit stratégiquement, on doit faire quelque chose. La deuxième chose, on se dit ben, c’est peut-être facile de prendre la province de Québec. Pourquoi on dit que c’est facile ? Parce qu’on a des gens. Déjà en 1774-75, il y a plein de commerçants, donc des treize colonies qui, eux, viennent faire du commerce, notamment à Montréal, qui reste une plaque importante du commerce, de ce qui reste du commerce des fourrures encore à cette époque-là.

Vers les pays d’en haut qu’on appelle ou vers d’autres endroits, vers justement le fleuve, et ils retournent dans les treize colonies en disant Écoutez, ça va être facile, les Britanniques n’ont pas mis énormément de troupes à Montréal comme à Québec, pas énormément de défense. Si on fait une attaque qui est moindrement coordonnée, on va avoir la chance de pouvoir capturer facilement cet endroit-là. Pis la troisième chose qu’on va se dire, c’est que on va dire en plus ben écoutez, c’est des Français, les habitants, ils n’aiment pas les Britanniques.

Luc Nicole-Labrie: Donc ils vont prendre notre partie assez rapidement, on va faire des cadeaux, on va faire des concessions aux Premières Nations, donc avec l’appui des Premières Nations ou au minimum leur neutralité — ce que les gens des treize colonies pensent qu’ils sont en mesure d’aller chercher — et en plus, avec le soutien populaire des Français, donc des Canadiens, parce que c’est déjà les Canadiens, on les appelait comme ça en Nouvelle-France, pis on les appelle encore comme ça en 1775. Ben, on va se dire : tous ces arguments-là font en sorte qu’il faut aller faire ça.

Donc, Washington va décider, va dire : on va faire une invasion officielle. Donc il va nommer le général Philip Schuyler. Schuyler, lui, sa mission, essentiellement, ça va être de prendre des troupes à partir de Ticonderoga, dans le nord de l’État de New York, sur les rives du lac Champlain. Et à partir de là, le but, c’est de monter, d’aller prendre le Fort Saint-Jean qui est la principale porte, point de défense de Montréal. Après ça, Chambly, puis après ça, finalement, capturer la ville de Montréal avant de se rendre jusqu’à Québec. C’est ça, le plan d’invasion principal qu’on a.

Luc Nicole-Labrie: À Québec, c’est un peu particulier parce qu’il y a un autre officier qui va arriver, qui va aller voir le général Washington, un colonel qui s’appelle Benedict Arnold. Benedict Arnold, lui, va aller voir Washington, il va le dire, Général, pour améliorer vos chances, je pense que je suis capable d’aller descendre directement sur Québec, de surprendre les Français à cet endroit-là.

On va passer par les rivières du nord du Massachusetts, aujourd’hui l’État du Maine, et en passant par là, on va descendre dans ce qui est aujourd’hui la rivière Chaudière, la Beauce, et ça va nous permettre de fondre sur Québec. Et ça se trouve, je vais pouvoir capturer Québec sans un énorme effort. Si j’ai une troupe de volontaires qui est suffisante, ça va prendre quelques semaines et puis voilà. Avec le général Schuyler qui va prendre Montréal, puis moi qui vais prendre Québec, ben la colonie va être à nous dans le fond.

Luc Nicole-Labrie: Pis on pourra peut-être avoir une 14ᵉ colonie, ou du moins on aura peut-être parce qu’il ne faut pas oublier, hein. Déjà dans les discussions, là je fais comme une parenthèse, mais c’est pas garanti que les treize colonies arrivaient pour dire à nos bons amis de la province du Québec : vous allez rester avec nous pour toujours, hein ?

Il y a une grosse chance que la province de Québec allait devenir une monnaie d’échange dans le cadre de négociations de paix après la guerre. Faut pas oublier ça. C’est déjà pensé à cette histoire-là. Donc on est vraiment pas en train d’imaginer que ça va automatiquement être des gens — ça se peut — mais selon comment la guerre va, selon comment les choses se passent, il était pas impossible que la province de Québec devienne seulement une monnaie d’échange.

Donc c’était un peu ça le plan, l’idée de base. C’est pour ça qu’on peut imaginer qu’il y a comme deux, je vais dire, deux opérations, mais celle de Benedict Arnold, en théorie, c’était aussi une espèce de diversion, hein, parce que lui, plutôt que de passer justement par le lac Champlain, cette espèce de grande voie navigable un peu évidente que les Britanniques connaissent très bien, il s’imaginait qu’en passant par le nord du Massachusetts, qui est un endroit bien moins surveillé, bien moins peuplé que les Britanniques qui garderaient un œil là-dessus, on pourrait s’imaginer que Arnold serait peut-être en train de monter vers les Maritimes, et que ce serait là peut-être une séparation des ressources des Britanniques vers le nord, hein ?

En réalité, il y avait comme cette espèce d’esprit stratégique là qui se jouait. Donc c’est pour ça qu’à Québec, comme tel, on a comme deux forces d’invasion, mais c’est vraiment la même grande opération d’invasion.

Ariane Simard Côté: Et ça n’a pas été facile, d’ailleurs, en montant, ils ont perdu beaucoup de troupes à cet endroit-là, d’ailleurs, quand ils ont essayé d’arriver, puis ça les a affaiblis au bout du compte, dans le fond. Est-ce que c’est pour ça qu’ils auraient perdu rendu à Québec ?

Luc Nicole-Labrie: Ben, on ne peut pas attribuer ça seulement à ça, mais c’est certain que ça ne les a pas aidés. L’expédition de Benedict Arnold, c’est une aventure en soi. Pour vous donner une petite idée : on a le ok pour partir de Cambridge autour du 11 septembre. Ça va prendre une grosse semaine avant qu’ils puissent quitter Cambridge et Boston, puis remonter la côte à cause des mauvaises conditions. Et Arnold avait évalué que le voyage prendrait à peu près trois semaines. On prévoit un voyage de près de 300-350 kilomètres. Pour vous donner une idée, c’est au-dessus de 560 kilomètres que ce voyage-là va prendre finalement. C’est un voyage qui va durer plus de cinq semaines. Dès le début du voyage, Arnold arrive, il s’était fait faire des bateaux dans le nord du Massachusetts. Il n’est pas satisfait de la qualité des bateaux. Il doit les refaire faire, perd du temps à ces endroits-là.

Ariane Simard Côté: Ça va pas bien.

Luc Nicole-Labrie: Oui, ça ne va pas bien du tout. Non, non. Pis au cours, là, je vais dire, de cette période-là, il va vraiment avoir des problèmes immenses, il va se faire surprendre par des conditions météorologiques. À des moments, ils vont camper à des places. L’endroit qu’ils ont choisi va être inondé le lendemain matin parce que la rivière va avoir gonflé à cause de la pluie. Il y a à peu près 300 à 400 personnes qui vont revirer de bord dans son expédition, qui comptait à peu près 1 100 hommes au départ. Donc, 300 à 400 personnes, c’est quand même important si on parle de presque le tiers des hommes qui, à un moment donné, sont malades, n’ont plus de nourriture, plus d’énergie, puis vont revirer de bord. À la fin, quand on est rendu au début de la rivière Chaudière, avant qu’on arrive dans le coin de ce qui est aujourd’hui Saint-Georges-de-Beauce, grosso modo, qui était le premier petit centre d’habitation, pis là je dis très, très petit, là, on parle de quelques centaines de personnes tout au plus.

Luc Nicole-Labrie: Je veux dire, les hommes étaient complètement affamés. On n’avait plus de nourriture depuis au moins deux semaines. Les hommes mangeaient le cuir non tanné de leur équipement, de leurs souliers. On mangeait le savon. Il y a des passages dans les sources historiques où l’on parle d’un pauvre chien qui n’a pas survécu à la fin du voyage parce qu’il a été dévoré par les troupes.

C’est un combat de guerriers, là, mais euh, très intense ce qui va se passer jusqu’à ce qu’on arrive, en effet, dans la Beauce moderne, où là on va avoir des gens qui vont venir nous rencontrer. On va être capable d’acheter, en fait, certaines denrées, on va être capable de se nourrir un peu, mais c’est quand même une force qui va être complètement épuisée, qui arrive sur la Rive-Sud de Québec, qui va se regrouper. On est à peu près six cents hommes, grosso modo, le 13 novembre. On va acheter des bateaux, on a quelques guides des Premières Nations qui sont avec nous, qui vont aider aussi à négocier des bateaux.

Pis dans la nuit du 13 au 14 novembre, on traverse le fleuve pour arriver à Québec. Donc, ce sont les premières personnes qui arrivent à Québec. On arrive sur les plaines d’Abraham le 14 novembre, là. Imaginez, vous avez ces 600 personnes-là qui sont affaiblies, qui ont eu un voyage d’horreur, mais quand même, ils se font dire : « Allez sur les plaines, essayez d’être menaçants, on va demander la reddition de la ville. » Et c’est ce qu’ils vont essayer de faire le matin du 14 novembre. Eh bien, je vous laisse deviner si les Britanniques ont donné la ville aux Américains à ce moment-là. La réponse, c’est non. Il y avait quand même une défense qui était organisée à Québec.

Ariane Simard Côté: Exactement. Ils ont protégé leurs colonies. Et donc, d’un point de vue plus du côté des Québécois ou de la nation, ben canadienne qu’on appelait à l’époque, est-ce que vous croyez que George Washington avait raison, dans le fond, de croire que les Québécois céderaient ? Qu’en est-il exactement de la culture à l’époque, de l’identité franco-canadienne, québécoise ou anti-britannique ? Comment ça se vivait à l’époque ?

Luc Nicole-Labrie: C’est très intéressant tout ça parce qu’il y a vraiment, je vais dire, deux ou trois facteurs qui vont être plus importants à considérer. Un des facteurs, ça va dépendre où est-ce que vous habitez. C’est-à-dire que, si les forces continentales, donc qui sont des rebelles à ce moment-là, bref, les gens des treize colonies, s’ils ne font que passer chez vous, qu’ils arrivent en vous demandant des choses, donc par exemple à manger, ils veulent acheter du bétail, ils veulent acheter de la nourriture, ils ont de l’argent sonnant, qu’ils ont de l’argent pour vous payer, ben peut‑être que vous allez les soutenir, il n’y en a pas de problème. Vous allez dire oui, oui, euh on va soutenir eux autres, ils paient, c’est une bonne chose, ça va peut‑être nous aider.

Alors qu’à l’inverse, si vous êtes en ville et que vous savez que votre ville risque d’être, elle, la cible d’une attaque, à l’inverse, vous allez peut‑être vous dire ben non, moi je vais prendre les armes parce que ben en plus, dans le cas de Québec, faut pas oublier que la ville a été attaquée deux fois dans les quinze dernières années, il y a quinze, seize ans.

Luc Nicole-Labrie: Donc, il y a beaucoup de gens qui sont encore à Québec, qui ont vécu le siège, les sièges, c’est-à-dire de 1759 et 1760. Donc, eux, l’idée que la ville soit attaquée, c’est peut-être pas leur chose préférée, là, donc c’est peut-être pas la situation qu’ils préfèrent.

Ça, c’est la première chose. Deuxième chose, il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de questions, d’arguments dans ce qui est, ce qu’on écoute : c’est qui le vendeur ? Donc, bien sûr, il y a des gens qui vont écouter ce que les gens, les treize colonies vont dire : « Vous allez avoir votre liberté, vous allez être débarrassés des Britanniques, ça va être une bonne chose pour vous autres, le commerce, ça va mieux aller. » Pis il y en a qui vont dire : « Oui, c’est bien, j’embarque, je suis d’accord. » À l’inverse, il y a des gens qui vont dire : « Eh, nous, de l’an dernier, en 1774, on a eu l’Acte de Québec. »

Luc Nicole-Labrie: Le clergé, entre autres, va être un très bon porte-parole pour la Couronne, parce qu’ils vont justement dire : « On vient de se faire autoriser notre langue, notre religion, est-ce qu’ils sont vraiment si pires que ça, les Britanniques ? » C’est une question qu’on pouvait se poser. Pis il y a des gens qui vont être sensibles aussi à cet argument-là.

Donc, à qui, en fait, vous allez vous allier dans tout ça ? C’est assez difficile d’évaluer, finalement, la proportion de chaque personne qui a joint chaque côté dans le conflit, mais on pourrait s’imaginer que c’est à peu près un tiers des gens qui ont supporté les rebelles, supporté les gens des treize colonies. Il y avait un autre tiers qui a supporté certainement les Britanniques et qui ont défendu activement la colonie face à cet envahisseur-là, pis un autre tiers qui regardait, pis qui n’était pas sûr, pis qui allait se dire : « On va voir de quel bord le vent va aller. » Ça va changer de région. En région, il y a des régions où on va être très, très sensibles aux rebelles, pis d’autres où on supporte assez fièrement la Couronne, mais vraiment, on peut être un peu dans ce paysage-là.

Ariane Simard Côté: Merci, c’est passionnant. Donc, vous avez parlé aussi des 600 soldats, des rebelles guidés par Benedict Arnold, qui sont arrivés sur les plaines d’Abraham le 13 novembre. Et ces mêmes troupes-là ont attendu six semaines de plus. Puis, elles ont attaqué la ville de Québec avec les troupes du général Richard Montgomery, le 31 décembre 1775. Ça arrive, mais ça ne fonctionne pas. Et, au printemps 1776, les troupes américaines quittent le Québec et elles ne reviendront jamais. Pourquoi est-ce qu’ils quittent et pourquoi est-ce qu’ils ne reviennent jamais au final ?

Luc Nicole-Labrie: C’est une très longue campagne, vous le savez, vous l’avez évoquée vous-même. C’est le général Montgomery qui mène. Si vous vous rappelez, quand on a commencé à se parler, je vous ai dit que l’invasion principale, c’était le général Schuyler qui était supposé la faire. Et il est passé où, le général Schuyler ? Ben, il est malade, donc c’est lui qui donne à Montgomery, en fait, la chance de finir l’invasion, de capturer Montréal. Arnold, après sa bravade du 14 novembre où il demande la reddition de Québec, où il se fait repousser, ben attend, entre autres, l’arrivée de Montgomery à Québec.

Il sait que Montgomery est passé par Montréal. Ils ont probablement des provisions, ils ont probablement des uniformes ou parfois des capots, des manteaux plus appropriés pour l’hiver. Donc on va l’attendre. C’est-à-dire qu’Arnold n’a certainement pas les hommes pour s’attaquer à une ville fortifiée comme Québec. Parce que même si les fortifications ne sont peut-être plus dans un état optimal, ben ça reste une ville avec d’énormes murs de pierre, un énorme rempart.

Ariane Simard Côté: Donc, et des labyrinthes aussi. La ville de Québec, il y a beaucoup de labyrinthes à l’intérieur. Elle est bien pensée pour être protégée.

Luc Nicole-Labrie: Vous avez raison, c’est se rendre, c’est pas nécessairement évident. Peu importe le côté qu’on va réussir à prendre, peu importe la porte qu’on va réussir à capturer, donc on est vraiment pris dans cette situation-là. Donc oui, Arnold va attendre. Et Montgomery, quand il arrive, il y a à peu près 1000 hommes avec lesquels il va venir à Québec. Ben lui, il voit aussi tous les problèmes, donc ça va mener à la bataille.

Il voit tous les problèmes, on trouve un moment idéal. Montgomery meurt, comme vous le savez, en 1775, le 31 décembre. Donc là, au printemps, on a des hommes. On a eu à peu près 400 prisonniers lors de la bataille de Québec, 3-400 prisonniers rebelles. Donc on se retrouve avec une force encore de peut-être moins de 1000 hommes qui, en théorie, n’ont plus de contrat, parce que la majorité des volontaires qui étaient avec Arnold puis une bonne partie de ceux qui étaient avec Montgomery, c’étaient des hommes qui avaient signé un contrat jusqu’au 31 décembre 1775, en se disant : Je vais aller à Québec, je vais être volontaire, ça va être une occasion d’aller chercher des honneurs de la guerre, peut-être de ramasser des petits objets par-ci, par-là, parce que c’était… c’était une réalité de la guerre.

Donc là, on est au printemps 1776, on n’a pas eu ce succès-là, on est encore avec moins de 1000 hommes. Plus le temps avance, moins on a de chances, probablement, de pouvoir compter sur les éléments pour nous aider.

Luc Nicole-Labrie: On le sait que les choses n’iront pas bien. Arnold, lui, le 31 décembre, avait été blessé, donc n’est plus capable de diriger aussi facilement. L’état-major de l’armée continentale est au courant, va envoyer un autre général pour s’occuper, prendre la relève, dans le fond, du commandement de cette troupe-là : le général John Thomas. Thomas va arriver ici au printemps 1776. Pis qu’est-ce qu’il voit ? Il voit, encore une fois, des hommes qui sont en mauvais état, qui n’ont plus beaucoup de ressources, qui sont touchés largement par une épidémie de variole.

Donc Thomas arrive, il dit : « Non, l’armée est malade. Moi, j’organise la retraite, on va retourner dans les treize colonies pis on va essayer de sauver les meubles autant qu’on peut. » Ça a été un échec, cette histoire. Pendant la retraite, il va y avoir des batailles, notamment du côté de Trois-Rivières, du côté des Cèdres, à l’ouest de l’île de Montréal. Thomas va mourir. De quoi ? De la variole. Donc, ça ne va vraiment pas bien.

Luc Nicole-Labrie: On se replie finalement par le fort Saint-Jean, donc vers le, je vais dire, le lac Champlain. Il va y avoir une bataille à l’automne 1776 qui s’appelle la bataille de l’île Valcour. Bataille navale qui va être, encore une fois, une opportunité pour les Britanniques de repousser définitivement, de se débarrasser, en fait, de ces troupes rebelles-là du territoire, en fait, de la province de Québec.

Sauf que si on regarde juste ce qui s’est passé, pis si j’arrêtais l’histoire là, vous me diriez : « Ah bon, ben ça y est, hein, les Américains ont perdu, euh, les rebelles américains, il n’y avait plus rien à faire. Ça a été une défaite totale. » Sauf que les Britanniques ont hésité un petit peu. S’ils avaient probablement poussé la poursuite en 1776 ou s’ils avaient été un peu plus rapides durant l’été, ils auraient probablement donné un coup énorme à l’armée continentale en infligeant des défaites encore plus grandes. Mais ça n’a pas été décisif. Même à la bataille de l’île Valcour, les Américains ont été capables de se replier pis de pas avoir énormément de pertes, ce qui a probablement permis aux Américains de pouvoir se réorganiser.

Pis dès 1777, l’année suivante, ça va être les campagnes de Saratoga. Et là, c’est vraiment les grandes victoires de l’armée continentale, enfin. Donc ces grandes victoires-là, qui vont même convaincre la France de rejoindre l’armée continentale pour les dernières années de la guerre, c’est en quelque sorte une conséquence indirecte de, je vais dire, l’indécision du gouverneur général Guy Carleton à poursuivre les Américains, à poursuivre les rebelles autant qu’il aurait peut-être dû.

Ariane Simard Côté: Pour les affaiblir davantage, en fait…

Luc Nicole-Labrie: Exact. C’est très facile à dire en 2025, là, on s’entend. Mais donc, c’est un peu un jeu de dominos qui s’est passé. Tout ça pour dire que même si c’est une — comment dire — une défaite sur le terrain qu’on a vécue du côté des rebelles américains, ben on peut pas vraiment dire que ça n’a pas servi, ultimement, le but de la Révolution que de venir essayer de tenter cette invasion du Canada-là en 1775-76.

Ariane Simard Côté: C’est vraiment passionnant de vous entendre nous expliquer tout ça en détail, avec tant de détails, c’est fascinant. Peut-être qu’on pourrait en venir un peu, aujourd’hui, sur les impacts que ça a sur notre société. Est-ce qu’il y a un legs de cette présence liée à l’invasion américaine? Est-ce qu’on y voit une trace de ce passage?

Luc Nicole-Labrie: Je vous dirais la trace la plus grande à date, on n’en a pas parlé du tout. C’est l’arrivée des premières grandes communautés allemandes.

Ariane Simard Côté: Oh!

Luc Nicole-Labrie: Parce que dès 1776, les Britanniques ont fait appel à énormément, en fait. On les a longtemps appelés des mercenaires, mais c’est un peu, c’est un peu réducteur, je pense, d’utiliser ce terme-là. Parce que c’était vraiment un contrat, dans le fond, que la couronne britannique passait avec différents lands allemands, essentiellement pour prendre des hommes, une partie de leur armée, et les faire venir ici en Amérique.

On dit que c’est au-dessus de 30 000 de ces soldats allemands-là qui sont venus ici en Amérique pour essayer d’appuyer les Britanniques. Et il y en a beaucoup quand même qui sont restés, notamment dans la vallée du Saint-Laurent.

Donc, plusieurs des gens qui ont des noms à connotation allemande que vous voyez, mais qui disent « Non, non, moi, je suis établi ici depuis 150, 200 ans », ben il y a probablement de bonnes chances que leurs ancêtres étaient en fait des soldats, des troupes allemandes qui étaient venues appuyer les Britanniques lors de l’invasion de 1775-1776. Il y a une chose que j’ai oubliée aussi, mais c’est à peu près 10 000 loyalistes qui arrivent, hein.

Ariane Simard Côté: Ah ! Oui !

Luc Nicole-Labrie: Sur le territoire du Canada, donc de la province de Québec, ce sont des loyalistes qui vont s’installer dans le sud de ce qui est aujourd’hui la province de Québec, dans les Cantons de l’Est. Il y a beaucoup de ces villes-là qui datent de ces endroits-là. Il y a une grosse partie de ces loyalistes-là qui vont également être le cœur historique de la population de l’Ontario autour des Grands Lacs.

Donc, c’est vraiment quelque chose qui va être absolument majeur, qu’il ne faut certainement pas oublier. Il y a énormément de cette population de loyalistes-là qui vont s’installer, des gens qui ont participé à la défense, qui vont recevoir des terres, par exemple, pour justement les remercier de leur participation à cette défense-là de la colonie. Et ce ne sont pas des choses dont il faut minimiser l’importance pour l’histoire du Canada.

Ariane Simard Côté: Wow! Merci énormément, Luc Nicole-Labrie, d’avoir été avec nous. Merci beaucoup. Merci pour la richesse de votre récit qui nous donne envie d’aller vous écouter. On va aller à Québec en entendre davantage, écouter vos conférences. C’était vraiment, vraiment passionnant. Merci d’avoir été avec nous.

Luc Nicole-Labrie: Ça fait grand plaisir.

Ariane Simard Côté: Merci d’avoir écouté Voyages dans l’histoire canadienne. Ce balado est financé par Patrimoine canadien et créé par le Walrus Lab. Les transcriptions sont disponibles en anglais et en français. Pour les consulter, rendez-vous sur le site de The Walrus à l’adresse de thewalrus.ca/CanadianHeritage.

Cet épisode a été produit par Jules Ownby qui a également réalisé la conception sonore. Amanda Cupido en est la productrice exécutive.

The post Quand la Guerre de l’indépendance américaine a frappé le Québec first appeared on The Walrus.


Unpublished Newswire

 
The Canadian postsecondary system should consider major changes to meet the economic challenges facing the country, according to a new report from Royal Bank of Canada.The report, published this week, calls for a “postsecondary pivot” to advance national goals. It’s based on the input of about 60 industry and postsecondary leaders who met in Toronto last month at a session convened by RBC Thought Leadership and the Business + Higher Education Roundtable. The focus was on how Canada can produce the talent needed to reorient its economy in response to trade disruptions.
October 16, 2025 - 17:34 | Joe Friesen | The Globe and Mail
Like hundreds of thousands of other Canadian teenagers who came of age during the Second World War, Gordon Quan yearned to fight for his country. But there was nothing typical in his quest. In those days of rampant racism, Chinese-Canadians had no citizenship rights. They were unable to vote, cloistered in their community’s Chinatowns and excluded from most professions. Those exclusions extended to the armed forces, which consistently turned away aspiring Chinese-Canadian recruits from British Columbia, who were willing to serve despite their second-class status in Canada. Mr. Quan was...
October 16, 2025 - 16:59 | Rod Mickleburgh | The Globe and Mail
Queen’s and Kingston officials expect a quieter homecoming due to reading week, with police focusing on education and safety ahead of next weekend’s 'faux-coming.'
October 16, 2025 - 16:27 | Paul Soucy | Global News - Canada